Société française de pédiatrie médicolégale (SFPML) : l’alliance de deux spécialités au service de l’enfant

Les situations de violences faites aux enfants constituent un problème de santé publique tant par le nombre de victimes concernées, que par leur retentissement à l’âge adulte [1] [2]. On admet en effet actuellement qu’environ 15 % des enfants seraient victimes de tous types de violences dans les pays industrialisés. L’importance des conséquences somatiques et psychiques à distance est de mieux en mieux connue [3]. Ces violences surviennent le plus souvent dans le huis clos familial, c’est la raison pour laquelle le dépistage, le diagnostic et le traitement sont difficiles. Les acteurs de terrain, en particulier les soignants sont en difficulté pour aborder ces phénomènes de violences et y donner les suites qui s’imposent [2].

L’histoire de la reconnaissance des violences faites aux enfants est ancienne. À la fin du XIXe siècle, le médecin légiste français Ambroise Tardieu avait déjà décrit leur sémiologie dans des articles princeps. L’écho a été bien difficile à trouver dans le monde médical et politique de cette époque. Il a fallu attendre la moitié du XXe siècle avec les américains Silverman (radiologue) et Kempe (pédiatre) pour que cette clinique des violences faites aux enfants soit reprise et complétée [2] [4]. Ainsi, au cours du XXe siècle l’amélioration des techniques radiologiques et la reconnaissance par les professionnels de l’enfance de situations de possibles violences subies au sein du cercle privé ont permis la mise en œuvre de politiques de santé et de politiques sociales en faveur des enfants victimes [4].

L’hôpital a toujours été un lieu d’accueil et de soins pour les enfants atteints de tous types de pathologies. Il y évoluent des équipes professionnelles confrontées à des violences faites aux enfants qu’il est primordial qu’elles identifient [5]. Les éléments cliniques, largement décrits dans la littérature, doivent être reconnus pour étayer une hypothèse diagnostique et engager des soins adaptés, mais aussi pour faire le constat auprès des autorités d’une possible situation de mauvais traitements. Les regards croisés sont alors nécessaires autour de l’enfant. En effet, les situations de violences faites aux enfants sont particulièrement éprouvantes pour les professionnels [5]. La réunion des savoirs pédiatrique et médicolégal est essentielle. Aussi, la place hospitalière de ces pathologies ne doit être ni « tout soignant », ni « tout judiciaire » [6] [7]. Il nous semble important que les structures pédiatriques de prise en charge de ces violences ne soient pas créées ou maintenues à la discrétion des financeurs publics locaux et de l’administration hospitalière mais procèdent bien d’une volonté politique nationale de prise en charge globale.

De la même manière, la santé de l’enfant ne s’entend pas que par son passage hospitalier. Si les antécédents médicaux de toute nature doivent pouvoir être recueillis, la santé des enfants et adolescents victimes de violence et leur suivi sont essentiels à engager. Il est impératif de fédérer les professionnels qui auront la charge des soins physiques et psychiques ultérieurs. Reconnaissant et maîtrisant la clinique de la violence et fort d’une bonne connaissance de la dynamique judiciaire, les praticiens spécialisés pourront accompagner ces suivis en lien avec les équipes des Conseils départementaux à qui la protection de l’enfance a été confiée depuis 2007 [8]. L’articulation avec le médecin des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP), récemment désigné, sera à l’avenir déterminante [9].

Ces praticiens se doivent d’analyser et de colliger l’ensemble des éléments d’entretien et d’examen clinique, afin de prendre une décision collégiale quant à la nécessité d’une transmission administrative à la CRIP ou judiciaire au Parquet. Afin d’éclairer utilement les services d’enquêtes administratives ou judiciaires, le fond et la forme de ceux-ci sont essentiels.

S’il est primordial de connaître la sémiologie des mauvais traitements, il est tout aussi nécessaire de connaître la forme que doit prendre un signalement, la rédaction de certificats, mais aussi les suites possibles des procédures administratives et judiciaires, afin de servir au mieux les intérêts de l’enfant. Outre la difficulté d’envisager les mauvais traitements sur mineurs, la méconnaissance par les praticiens en charge du soin des démarches à mettre en œuvre est à l’origine de difficultés et d’un taux très faible de signalements et d’informations préoccupantes par le monde médical [10] [11] [12]. De la même manière, si le praticien médecin légiste est, par sa posture d’auxiliaire de justice, en charge de ce lien entre Santé et Justice, il se doit de connaître et de reconnaître la particularité de la sémiologie pédiatrique. C’est pourquoi le développement d’une véritable alliance entre ces deux pratiques nous paraît primordial et un enjeu crucial pour les mineurs victimes.

Le soin, et en tout premier lieu, le « prendre soin » (« care » anglo-saxon) doit franchir la porte des consultations médicolégales. De la même manière, la pédiatrie ne peut s’affranchir de la nécessaire connaissance des bonnes pratiques médicolégales.

Le rapport de la mission confiée par la Défenseure des enfants à Alain Grévot, sur l’histoire de « Marina » fait état des conséquences funestes des cloisonnements professionnels [13]. Ces idées ont été reprises dans la feuille de route de la protection de l’enfance rédigée par le ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes : la proposition 79 demande de « développer les évaluations pluridisciplinaires pour les enfants victimes », notamment en réaffirmant « la nécessité́ des pôles de référence hospitaliers » et en soutenant « les unités d’accueil médicojudiciaires (UAMJ) » [14]. En conséquence, ces deux spécialités ne peuvent plus être considérées comme opposées et substituables dans l’approche et le traitement des mineurs victimes. La complémentarité des angles de vue pédiatrique et médicolégal est nécessaire.

Fort de cette conviction et résolument engagé, un collectif de pédiatres, de médecins légistes et de praticiens titulaires de cette double valence s’est mobilisé pour créer la Société française de pédiatrie médicolégale (SFPML) en février 2016. Cette initiative procède d’une volonté commune de travail conjoint, plaçant l’enfant et l’adolescent au cœur des préoccupations professionnelles, pour une prise en compte de leur santé globale et une procédure judiciaire de qualité. Toute personne souscrivant à ce projet et convaincue de la nécessité d’une harmonisation entre les prises en charge sanitaire, sociale et judiciaire sera la bienvenue.

Tenant compte de la singularité et de la particulière vulnérabilité des mineurs, la SFPML a pour but de favoriser le développement de la pédiatrie médicolégale et de faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’adolescent dans la prise en charge pédiatrique globale et dans l’exercice de l’ensemble des missions médicolégales. La SFPML fera la promotion de l’enseignement, de la recherche et de l’évaluation dans ce domaine de spécialité. Nous souhaitons notamment travailler les questions relatives à la prévention, l’accueil, le dépistage, l’évaluation, le diagnostic, le constat, les expertises civile et pénale, la problématique de la garde à vue des mineurs et la thanatologie.

Nos échanges à l’occasion de la création de cette nouvelle société savante démontrent combien les questions qui émergent sont nombreuses. On peut citer entre autres la rédaction d’un signalement judiciaire et d’une information préoccupante et le choix pour le professionnel de la saisine idoine, la rédaction des certificats sur réquisitions, la fixation de l’incapacité totale de travail chez le mineur, la mise en œuvre d’un cadre contenant pédiatrique des consultations de mineurs victimes et de leur fratrie… La SFPML aura à cœur de développer ses activités en concertation avec la Société française de pédiatrie (SFP) et la Société française de médecine légale. Affiliée à la SFP depuis mai 2016, la SFPLM aura une journée de travail lors du congrès annuel de cette dernière. Nous projetons également de réaliser des journées de travail thématiques et des études de cas. Il nous reviendra d’inviter des professionnels d’horizons divers pour éclairer nos réflexions. Cette association sera ce que nous en ferons collectivement. Elle nous semble à tous, membres fondateurs, être le seul gage, en alliant nos compétences, d’une meilleure prise en compte des violences faites aux enfants et aux adolescents et à leur dépistage. Seule une bonne connaissance des contraintes d’autrui, de la sémiologie pédiatrique et de la procédure permettra de sortir du déni et de garantir une prise en charge éthique des mineurs victimes. Notre société pourra être un terrain d’études sur le phénomène de violences faites aux enfants et ainsi être force de proposition. Un des buts de la SFPML étant de faire connaître la semiologie clinique des violences chez l’enfant et l’adolescent, il est nécessaire qu’elle puisse offrir des possibilités de formation pour les jeunes spécialistes de pédiatrie ou de médecine légale et pour d’autres professionnels de la protection de l’enfance. En ce sens, la SFPML est partie prenante du diplôme inter-universitaire mis en place par les facultés de médecine de Paris-Sud et de Marseille intitulé « Maltraitance de l’enfant : du diagnostic aux aspects médicolégaux » [15]. La SFPML devra se faire reconnaître comme l’interlocuteur des pouvoirs publics sur les questions de sociétés tenant à l’enfance maltraitée et en danger. Comme toute société savante, son rayonnement passera par la qualité de ses réunions et les activités de recherche menées par ses membres. La SFPML souhaite développer des échanges et des coopérations avec les sociétés savantes étrangères.


  1. European report on preventing child maltreatment, WHO 2013.
  2. C. Rey-Salmon, C. Adamsbaum. Maltraitance chez l’enfant, Éditions Lavoisier, Paris (2013) 250 p.
  3. R. Gilbert, C.S. Widom, K. Browne, et al. Child maltreatment 1. Burden and consequences of child maltreatment in high-income countries, Lancet, 373 (2009), pp. 68–81.
  4. J. Labbé. Ambroise Tardieu : the man and his work on child maltreatment a century before Kempe, Child Abuse Negl, 29 (2005), pp. 311–324.
  5. M. Roussey, M. Balençon, P. Suissa. Le rôle et la place de l’hôpital dans la protection de l’enfance, Arch Pediatr, 16 (2009), pp. 217–219.
  6. Circulaire no DGS/DH/2000/399 du 13 juillet 2000 relative à l’extension aux mineurs victimes de toutes formes de maltraitance des dispositions de la circulaire 97/380.
  7. Circulaire CRIM-2010-27/E6-21-12-2010 relative à la mise en œuvre de la réforme de la médecine légale.
  8. Loi 2007-993 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.
  9. Loi 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
  10. M. Balençon, A. Arrieta, C.A. You, et al. Protection de l’enfance : connaissance et place des médecins généralistes (MG) en Ille et Vilaine, Arch Pediatr, 23 (2016), pp. 21–26.
  11. Enquête nationale information préoccupante ONED. Octobre 2011.
  12. R. Bouvet, M. Pierre, M. Le Gueult. Responsabilité du pédiatre et signalement, Arch Pediatr, 21 (2014), pp. 1–2.
  13. Compte rendu de la mission confiée par le Défenseur des droits et son adjointe, la Défenseure des enfants à M. Alain Grévot, Délégué thématique, sur l’histoire de Marina. 30 juin 2014.
  14. Feuille de route pour la protection de l’enfance 2015–2017, ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes, juin 2015.
  15. DIU maltraitance de l’enfant : du diagnostic aux aspects médicolégaux.

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