Syndrome du bébé secoué : L’expertise médico-légale est d’abord au service des enfants
Pédiatrie médicolégale et santé des enfants victimes de violences : une pratique médicale au service des mineurs victimes
Évoquer les violences faites aux enfants est toujours complexe. Les mécanismes psychiques de défense face à la violence sont nombreux y compris chez les professionnels. La sidération, le déni, l’incrédulité contribuent à la difficulté à repérer et à signaler les situations de danger.
Les conséquences possibles des violences sur la santé des enfants sont graves et maintenant bien connues. Pour autant, l’histoire et le vécu individuel, le rapport à l’éducation sont très présents dans les représentations professionnelles et peuvent conduire à la banalisation et à la minimisation des violences. Ces mouvements émotionnels n’épargnent pas le champ sanitaire. Ils peuvent empêcher le raisonnement médical et la démarche diagnostique habituellement menés par les médecins dans les autres situations pathologiques.
Le syndrome du bébé secoué fait partie des violences les plus graves faites aux enfants, tant le risque de décès est élevé et les séquelles graves et fréquentes. Les débats d’experts évoqués dans l’article de Sandrine CABUT (Le Monde, 8/01/2019), et les prises de positions de contributeurs illustrent les difficultés d’intégration des violences et de leurs conséquences dans le champ de la santé.
Parmi les traumatismes infligés, le syndrome du bébé secoué occupe une place particulière. Si cette situation clinique est identifiée de longue date, la compréhension de sa survenue est récente.
Dans cet article présenté comme une controverse, les travaux scientifiques de synthèse publiés sur le syndrome du bébé secoué en 2011 et 2017 cités en référence, ont été réalisés avec le soutien méthodologique et la rigueur de la Haute Autorité de Santé. Ils ont permis de mieux comprendre les mécanismes de survenue de ces lésions, leur identification, leurs conséquences cliniques et leur exploration. En excluant méthodiquement les maladies même les plus rares, ces recommandations ont permis pour la première fois de retenir sur des critères scientifiques objectifs et opposables, un diagnostic de violences subies par l’enfant.
Ces recommandations ont pu être publiées grâce à la contribution de différentes disciplines médicales : pédiatrie, radiologie, médecine légale, anatomopathologie, rééducation fonctionnelle, neuro-chirurgie, ophtalmologiste …. Ces documents de référence exposent des recommandations sur tous les aspects de la prise en charge des enfants victimes de ce type de violence : une démarche médicale initiale adaptée, la mise en œuvre de soins pédiatriques appropriés à l’état de santé de l’enfant, la prise en compte de la nécessaire protection du nourrisson victime, et enfin une expertise médicale de qualité, étape essentielle dans le processus de réparation du dommage subi.
La collaboration des professionnels au service de l’enfant
Le diagnostic des violences faites aux enfants victimes se heurte encore à de nombreux obstacles :
- La difficulté à voir et concevoir que ces violences concernent 10 % des enfants dans les pays industrialisés (Gilbert et al Lancet 2009). Pour limiter le déni et la minimisation, leur prise en charge nécessite des équipes interdisciplinaires spécialisées qui connaissent bien ces situations et leurs conséquences cliniques.
- La difficulté à conduire des travaux scientifiques dans ce domaine, et la facilité de les ignorer et de leur opposer des cas « particuliers » ou des données ou expertises personnelles non validées scientifiquement. Les travaux de recherche dans le champ des violences subies s’avèrent très complexes. Ces études sont à la croisée des chemins de domaines scientifiques variés. C’est leur richesse et leur limite. Or, la définition des violences sur mineur ne répond pas à une valeur seuil comme cela peut être le cas pour quelques dosage biologique déterminant l’existence d’une maladie. Pour cette raison, oser un diagnostic de violences subies chez l’enfant doit répondre à une démarche diagnostique rigoureuse, collégiale et à un savoir -faire en pédiatrie médico-légale.
- Enfin, l’obstacle majeur est que la protection de l’enfant doit répondre à une équation difficile : apporter une réponse adaptée aux besoins du mineur présumé victime, en particulier en matière de protection et prendre en compte la nécessaire présomption d’innocence du mis en cause, qui appartient le plus souvent au cercle familial. Ces questions se posent à chaque fois que le diagnostic médical de violences subies est retenu pour un enfant par une équipe de soin. En outre, les mesures de protection d’un mineur présumé victime, en particulier le placement, sont souvent vécus, par les mis en cause, le plus souvent proches de l’enfant, comme une sanction grave à leur égard, mise en lumière préalable de la culpabilité. Pour autant, protéger un mineur victime de violence ne peut pas être considéré comme une inversion de la charge de la preuve ou comme une option. Il s’agit de l’essence même du travail éthique des professionnels de la protection de l’enfance. Protection et investigation sont les deux axes de la justice des mineurs dont l’exercice est si singulier.
Prendre soin et parcours en santé des mineurs victimes
Les conséquences des violences de toutes natures subies dans l’enfance, peuvent affecter gravement la santé physique et psychique tout au long de la vie. Pour toutes ces raisons, un partenariat de médecins spécialisés dans leur prise en charge, peut permettre de mieux les mettre en évidence et de contribuer avec les autres professionnels de la protection de l’enfance à prendre soin des mineurs victimes. Cet axe universel répond à la « présomption de nécessité de soins » pour les mineurs victimes, réponse en miroir à la nécessaire présomption d’innocence des mis en cause.
C’est le pari qu’a fait la Société Française de Pédiatrie Médico-Légale, société savante créée en 2016, en réunissant, pédiatres et médecins légistes, praticiens de terrain, universitaires, et chercheurs, pour améliorer le parcours médico-judiciaire des mineurs victimes. Seul un travail de connaissance et de reconnaissance alliant prévention, expertise et soin permettra de mieux diagnostiquer ces situations pédiatriques fréquentes et dramatiques, pour faire des violences subies un sujet de préoccupation du corps médical et de santé publique.
Martine Balençon et les membres du conseil d’administration de la Société Française de Pédiatrie Médico-Légale (SFPML)
Paru le 23 janvier 2019 dans La Tribune du Monde